• La Mère aux Sureau

    Contes d'Andersen
    Dans une petite maison, pas très loin d'ici, vivait une veuve avec ses deux filles. L'une, appelons-la Claire, était aussi belle que travailleuse. L'autre, sa demi-sœur, que nous nommerons Grincheuse, était moins jolie et surtout, très, très paresseuse. La maman aimait beaucoup Grincheuse, car c'était sa vraie fille, mais elle donnait toutes les corvées à Claire.

    Un jour, Claire filait la laine près du grand puits du jardin. Elle filait, filait, et hop ! Sa quenouille, l'outil pour filer, lui glissa des doigts et tomba tout au fond du puits. Oh là là ! Sa belle-mère se mit très en colère. "Tu as laissé tomber la quenouille, alors va la chercher !" cria-t-elle. Claire, toute triste et un peu effrayée, ne savait pas quoi faire d'autre que de sauter dans le puits.

    Plouf ! Mais au lieu de trouver de l'eau froide, elle se réveilla doucement dans une prairie magnifique, baignée de soleil et pleine de fleurs colorées. Elle se mit à marcher. Bientôt, elle arriva devant un four à pain. Le pain à l'intérieur criait : "Sors-moi de là ! Sors-moi de là, vite, je vais brûler !" Sans hésiter, Claire prit la grande pelle à pain et sortit toutes les miches dorées et croustillantes.

    Un peu plus loin, elle vit un pommier chargé de pommes rouges et brillantes. L'arbre l'appela : "Secoue-moi, secoue-moi ! Mes pommes sont si mûres, elles sont prêtes à tomber !" Claire secoua gentiment le pommier, et les pommes tombèrent comme une pluie douce autour d'elle. Elle les ramassa et les rangea soigneusement en un joli tas.

    Finalement, elle arriva devant une petite maisonnette. Une vieille dame avec de très grandes dents la regardait depuis la fenêtre. Claire eut un peu peur, mais la vieille dame lui sourit gentiment. "N'aie pas peur, mon enfant," dit-elle. "Je suis Dame Holle. Si tu veux bien travailler pour moi et faire tout avec soin, tu seras heureuse ici. Surtout, tu devras bien secouer mes édredons pour que les plumes volent, car c'est ainsi qu'il neige sur le monde."

    Claire accepta avec joie. Elle s'occupait de tout dans la maison de Dame Holle et, chaque jour, elle secouait les édredons avec tant de force que les plumes volaient comme de gros flocons de neige. Elle avait de bons repas tous les jours et Dame Holle était toujours gentille avec elle.

    Pourtant, après un certain temps, Claire commença à se sentir triste. Sa maison lui manquait, même si sa belle-mère n'était pas toujours gentille. Elle alla voir Dame Holle et lui dit : "Chère Dame Holle, je suis si bien chez vous, mais ma maison me manque. J'aimerais rentrer."
    Dame Holle répondit : "Je comprends, mon enfant. Tu as été une aide précieuse et tu as toujours bien travaillé. Je vais te ramener moi-même."
    Elle prit Claire par la main et la conduisit devant une immense porte. Au moment où Claire passait sous la porte, une pluie d'or se déversa sur elle, la couvrant entièrement. "Ceci est pour toi, parce que tu as été si travailleuse et si bonne," dit Dame Holle. Et voilà que sa quenouille, celle qui était tombée dans le puits, lui fut aussi rendue.

    La porte se referma, et Claire se retrouva dans son propre jardin, non loin du puits. Quand elle entra dans la maison, toute couverte d'or, le coq sur le toit se mit à chanter : "Cocorico ! Notre demoiselle en or est de retour ici !"
    Sa belle-mère et Grincheuse furent très étonnées de la voir si riche.

    Quand la belle-mère entendit comment Claire avait obtenu tout cet or, elle voulut que Grincheuse, sa fille préférée, ait la même chance. Alors, elle envoya Grincheuse s'asseoir près du puits pour filer. Grincheuse, pour aller plus vite, jeta exprès sa quenouille dans le puits et sauta derrière.

    Elle se réveilla aussi dans la belle prairie. Quand elle arriva au four, le pain cria : "Sors-moi de là ! Sors-moi de là, je vais brûler !" Mais Grincheuse répondit : "Certainement pas ! Je n'ai pas envie de me salir les mains."
    Plus loin, le pommier appela : "Secoue-moi, secoue-moi ! Mes pommes sont si mûres !" Grincheuse rétorqua : "Bien sûr que non ! Une pomme pourrait me tomber sur la tête."

    Elle arriva enfin chez Dame Holle. Elle n'eut pas peur de ses grandes dents, car elle savait déjà pour l'or. Elle se mit donc à son service. Le premier jour, elle fit des efforts et secoua les édredons. Mais dès le deuxième jour, elle commença à paresser. Le troisième jour, elle ne voulait même plus se lever le matin. Elle ne secouait pas les édredons comme il fallait, et il ne neigeait presque plus sur le monde.
    Dame Holle ne fut pas contente du tout et la renvoya bientôt.

    Grincheuse était ravie, pensant qu'elle allait recevoir la pluie d'or. Dame Holle la conduisit aussi à la grande porte. Mais quand Grincheuse passa dessous, ce ne fut pas de l'or qui tomba, mais un énorme chaudron de poix noire et collante qui se déversa sur elle. "Voilà la récompense pour ton travail !" dit Dame Holle.

    Grincheuse rentra chez elle, toute couverte de cette poix dégoûtante. En la voyant arriver, le coq sur le toit chanta : "Cocorico ! Notre demoiselle pleine de poix est de retour ici !"
    Et la poix resta collée à elle, et ne partit jamais, aussi longtemps qu'elle vécut.

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