• Qui est le plus heureux ?

    Contes d'Andersen
    Dans un pays lointain, où les maisons étaient colorées comme des bonbons et les rivières chantaient des mélodies joyeuses, vivait un roi un peu curieux. Ce roi s'appelait... non, son nom n'est pas important. Ce qui est important, c'est qu'il voulait savoir une chose : Qui est le plus heureux du royaume ?

    D'abord, il pensa à Monsieur Dupont, un marchand très riche. Monsieur Dupont avait une grande maison, des coffres pleins d'or, et une femme élégante. Ils avaient aussi beaucoup d'enfants, tous bien habillés. "Nous sommes les plus heureux !" disaient-ils souvent en se pavanant.

    Puis, il y avait Pierre, le cordonnier. Pierre n'avait pas beaucoup d'argent. Sa maison était petite, mais toujours pleine de rires. Lui et sa femme avaient aussi beaucoup d'enfants, qui jouaient pieds nus dans la rue avec des jouets fabriqués par leur papa. "Oh, nous sommes si heureux !" chantaient-ils en travaillant et en jouant.

    Le roi était perplexe. Comment savoir qui disait vrai ? Alors, il eut une idée. Il appela son plus fidèle messager.
    "Va dans tout le royaume," dit le roi, "et trouve-moi l'homme le plus heureux. Demande-lui sa chemise. Si un homme est vraiment heureux, sa chemise doit être spéciale et je veux la voir !"

    Le messager partit aussitôt. Il alla d'abord chez Monsieur Dupont, le marchand riche.
    "Monsieur Dupont," dit-il poliment, "le roi pense que vous êtes l'homme le plus heureux. Pourriez-vous lui donner votre chemise ?"
    Monsieur Dupont fronça les sourcils. "Heureux ? Oui, bien sûr... mais mes affaires me donnent des soucis, mes enfants coûtent cher pour leurs études, et ma femme veut un nouveau carrosse encore plus grand... Non, je ne suis pas *complètement* heureux. Je ne peux pas donner ma chemise, elle est en soie précieuse et je ne veux pas m'en séparer."

    Le messager continua sa route. Il visita d'autres gens riches, des nobles importants, des savants très intelligents. Chacun avait une raison de ne pas être parfaitement heureux. L'un s'inquiétait pour sa santé, l'autre pour sa réputation, un autre encore pour l'avenir. Personne ne voulait donner sa chemise.

    Finalement, fatigué et un peu découragé, le messager entendit des chants joyeux venant d'une petite maisonnette au bout d'un chemin de terre. C'était chez Pierre, le cordonnier. Pierre était assis dehors sur un petit banc, réparant des chaussures et chantant à tue-tête une chanson rigolote. Ses enfants dansaient autour de lui, et sa femme souriait en préparant le repas simple.
    "Pierre," demanda le messager, un peu essoufflé, "êtes-vous heureux ?"
    Pierre s'arrêta de chanter et regarda le messager avec de grands yeux brillants. "Heureux ? Mais bien sûr que je suis heureux ! Regardez ma famille formidable, écoutez nos rires ! Le soleil brille, nous avons de quoi manger ce soir. Quoi demander de plus ?" répondit Pierre avec un grand sourire qui illumina son visage.

    "Alors," dit le messager, plein d'espoir, "le roi voudrait votre chemise !"
    Pierre éclata de rire. Un rire si franc et si joyeux que les oiseaux dans les arbres s'arrêtèrent pour écouter.
    "Ma chemise ?" dit-il en écartant les bras, toujours en riant. "Mais mon bon ami, je suis si pauvre... que je n'ai même pas de chemise à moi ! Celle que je porte parfois appartient à mon voisin qui me la prête quand il fait froid !"

    Le messager retourna voir le roi et raconta tout ce qu'il avait vu et entendu. Le roi écouta attentivement, puis il sourit. Il avait enfin compris.
    Le bonheur, ce n'est pas d'avoir beaucoup de choses, beaucoup d'or ou des vêtements chers. Le vrai bonheur, c'est d'être content de ce que l'on a, même si c'est peu, et de partager sa joie avec ceux qu'on aime. Et parfois, les plus heureux sont ceux qui n'ont même pas de chemise à donner !

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