Les Trois Fileuses
Contes de Grimm
Il y avait, dans un petit village, une jeune fille qui n'aimait VRAIMENT pas travailler. Surtout, elle détestait filer le lin. Sa maman se fâchait souvent, car la jeune fille laissait toujours son rouet couvert de poussière.
Un jour, la Reine du pays passait par là en carrosse. En entendant la maman gronder sa fille à propos du filage, la Reine s'arrêta et demanda : "Pourquoi grondez-vous votre fille si fort ? Le bruit traverse les murs !"
La maman, un peu gênée que la Reine entende ses plaintes et voulant faire bonne impression, inventa une histoire : "Oh, Majesté, c'est que ma fille adore tellement filer ! Elle file, file, file toute la journée, et je suis trop pauvre pour lui acheter assez de lin. Elle veut toujours plus de travail !"
La Reine, qui aimait beaucoup le beau fil, sourit : "Oh, mais j'adore entendre ça ! Amenez votre fille au château. J'ai trois grandes chambres remplies de lin du sol au plafond. Si elle arrive à tout filer, je lui donnerai mon fils, le Prince, comme époux. Peu importe si elle est pauvre, son incroyable talent est une dot suffisante !"
La maman était ravie, mais la jeune fille, elle, avait très peur. Une fois au château, la Reine la conduisit dans la première chambre pleine de lin. "Voilà pour commencer," dit la Reine. "Quand tu auras fini cette chambre, puis les deux autres, tu épouseras mon fils." Et elle la laissa seule.
La pauvre fille s'assit et regarda l'énorme tas de lin. Elle ne savait même pas bien filer ! Comment allait-elle s'en sortir ? Elle se mit à pleurer, pleurer, pleurer.
Soudain, toc toc toc ! Trois femmes étranges entrèrent dans la pièce. La première avait un pied droit immense et tout plat. La deuxième avait une lèvre inférieure si grande qu'elle pendait bien bas sous son menton. La troisième avait un pouce gauche énorme et large.
Elles s'approchèrent et demandèrent : "Pourquoi pleures-tu, jeune fille ?"
Elle leur raconta son problème : filer tout ce lin pour épouser le Prince, alors qu'elle détestait ça et n'était pas douée.
Les trois femmes lui proposèrent alors : "Si tu nous promets de nous inviter à ton mariage, de ne pas avoir honte de nous, de nous appeler tes cousines et de nous asseoir à ta table, nous filerons tout ce lin pour toi en un clin d'œil."
"Oh oui, je vous le promets de tout mon cœur !" répondit la jeune fille, pleine d'espoir.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les trois drôles de dames se mirent au travail. La première faisait tourner la roue avec son grand pied plat. La deuxième humidifiait le fil avec sa grande lèvre. La troisième tordait le fil avec son pouce énorme et le frappait sur la table pour vérifier sa solidité. Zzzzz, zzzzz, les rouets allaient à toute vitesse ! Chaque fois qu'une bobine était pleine, elles la mettaient de côté. En très peu de temps, la première chambre fut vidée, puis la deuxième, et enfin la troisième ! Tout le lin était transformé en fil parfait. Les trois femmes saluèrent la jeune fille et lui rappelèrent sa promesse avant de disparaître.
Quand la Reine revint et vit les montagnes de fil fin et régulier, elle fut émerveillée. Elle organisa aussitôt le mariage entre son fils et la jeune fille "si travailleuse". Le Prince était heureux d'épouser une si jolie fille, et la jeune fille était heureuse d'épouser le Prince.
Le jour du mariage, alors que la fête battait son plein, les trois fileuses arrivèrent, habillées de façon un peu bizarre. La jeune mariée, fidèle à sa promesse, alla les accueillir : "Bienvenue, mes chères cousines !"
"Oh," dit le Prince, "tu as des cousines ? Je ne les connaissais pas. Asseyez-vous avec nous !"
Pendant le repas, le Prince, intrigué par leur apparence, demanda à la première : "Dites-moi, chère cousine, d'où vous vient ce pied si large ?"
"À force de pédaler au rouet," répondit-elle.
Puis il demanda à la deuxième : "Et vous, cousine, pourquoi cette lèvre si pendante ?"
"À force de lécher le fil," dit-elle.
Enfin, il demanda à la troisième : "Et vous, cousine, comment avez-vous eu ce pouce si gros ?"
"À force de tordre le fil," expliqua-t-elle.
En entendant cela, le Prince fut un peu effrayé. Il regarda sa belle épouse et déclara très fort : "Eh bien ! Si c'est là le résultat du filage, ma femme adorée ne touchera plus jamais, au grand jamais, un rouet de sa vie !"
Et c'est ainsi que la jeune fille fut débarrassée pour toujours de la corvée qu'elle détestait tant. Elle vécut heureuse avec le Prince, sans jamais plus avoir à filer le moindre petit bout de lin.
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